Finance

La SFDR : Une énième nuance de vert pour les investisseurs

La SFDR, ou Sustainable Finance Disclosure Regulation, vise à réorienter les flux financiers vers des investissements durables tout en simplifiant la distinction et la comparaison des produits financiers selon des critères environnementaux et sociaux. Destinée à tous les intervenants des marchés financiers, elle introduit une typologie des fonds classant ces derniers en trois catégories distinctes : "Article 6", "Article 8" et "Article 9", répondant ainsi à l'urgence de transparence et d'alignement des investissements sur les objectifs de durabilité de l'UE.

April
2024
Qu’est-ce que la SFDR ?

Selon une étude d'Oxfam, les émissions issues des activités financées par les banques françaises surpassent huit fois les émissions totales de la France, soulignant ainsi leur impact majeur dans le panorama écologique.

Forte de cette constatation, ce qu’on appelle la finance verte se développe depuis une quinzaine d’années. En 2016, la Commission européenne lance un ambitieux plan d'action en faveur de la finance durable, introduisant la taxonomie européenne et encadrant les green bonds. Depuis, la finance verte s'impose de manière croissante dans le secteur de l'investissement et des institutions bancaires.

En 2021, la Commission Européenne renforce son arsenal juridique sur le financement durable. Elle entérine un nouveau règlement, aligné sur les objectifs de l'Accord de Paris de 2015, qui renforce l’obligation des acteurs financiers à encore plus de transparence : le règlement 2019/2088 nommé Sustainable Finance Disclosure Regulation, dit SFDR.

💡 Contexte : Avant 2021, malgré la prolifération de produits financiers prétendant être durables, aucun cadre réglementaire unifié ou standardisé n'était en place pour garantir la transparence et la véracité des informations fournies. C'est avec la SFDR que pour la première fois, un standard commun aux pays membres a été établi pour la divulgation d'informations en matière de durabilité.

La SFDR a pour objectif de :

  1. Réorienter les flux de capitaux vers des investissements durables.
  2. Simplifier la distinction et la comparaison des produits financiers en intégrant des critères environnementaux et sociaux.
  3. Aligner les investissements sur les objectifs de durabilité de l'UE.
  4. Prévenir le greenwashing.

⇒ Elle est destinée à tous les intervenants opérant dans les marchés financiers.

La typologie SFDR : guide et obligations

Entrée en vigueur le 10 mars 2021, la SFDR instaure deux obligations :

  • La transparence : Divulguer des informations sur la durabilité des produits financiers.
  • La classification : Classer les fonds en fonction de différents critères de durabilité.

⇒ Pour répondre à ces deux exigences, la SFDR instaure une typologie des fonds.

Le règlement classe les actifs en trois catégories distinctes : « article 6 », « article 8 » et « article 9 ». Ces catégories servent de référence aux PSI (les Prestataires de services d'investissements) pour classer les produits financiers qu'ils offrent, afin de fournir aux investisseurs des informations claires et comparables sur la durabilité de leurs investissements.

Les fonds article 8

Les produits désignés comme « Article 8 » mettent en avant des caractéristiques environnementales ou sociales et intègrent des critères de durabilité dans leur processus décisionnel.

  • Les fonds ont pour objectif la durabilité et sont soumis à une obligation de moyens comme la réalisation de due diligence ESG avant investissement ou la mesure des impacts RSE des sous-jacents.
  • Ils doivent fournir des informations claires sur leur politique d’investissement durable et sur la prise en compte des critères ESG dans leur processus de sélection des investissements.
  • Cependant, ils ne sont pas soumis à des critères contraignants.

Les fonds article 9

Les produits désignés comme « Article 9 » poursuivent un objectif d’investissement durable spécifique, visant à avoir un impact positif.

  • Ces fonds sont soumis à des critères de durabilité contraignants avec des objectifs clairs (décarbonation, contribution à un Objectif de Développement Durable (ODD) de l’ONU, etc).
  • Ils doivent fournir des informations détaillées sur l'intégration des critères ESG dans leur processus de sélection des investissements.
  • Ils doivent rendre compte des résultats de leur politique d’investissement durable.

Les fonds article 6

Pour les produits financiers qui ne peuvent être classés ni en tant qu'« Article 9 » ni même en tant qu'« Article 8 », ils sont désignés comme « Article 6 ».

  • Ils ne font aucune déclaration de durabilité.
  • Ils ne poursuivent aucun objectif explicite dans ce domaine.
  • Ils ne sont pas soumis à des exigences particulières de transparence sur la durabilité et peuvent investir dans des entreprises et des secteurs qui ne respectent pas les critères ESG.

État des lieux de l'application de la SFDR

À la fin de 2021, environ un cinquième des 10 600 fonds français en activité mettent en avant des caractéristiques environnementales ou sociales (fonds article 8) ou affirment avoir un objectif d'investissement durable (fonds article 9).

Source : AMF État des lieux des classifications sfdr sur le marché des fonds français et exposition des portefeuilles aux énergies fossiles à fin 2021

💡 Nombre de fonds = 10616 - Actifs nets total = 1 907 milliards d’euros

Les avantages clés de la réglementation

Le règlement SFDR présente de nombreux avantages tant pour les investisseurs que pour les acteurs du marché financier :

  • Il permet aux institutions financières de comprendre et traiter les risques d’incidences négatives de leurs activités sur l’environnement et la société mais aussi d’appréhender les risques de durabilité qui pèsent sur leurs activités (le bon vieux principe de double matérialité).
  • En imposant une obligation de classification, la SFDR permet aux investisseurs de prendre des décisions éclairées en comparant clairement les investissements classiques et durables.
  • Le règlement permet aussi de lutter contre le greenwashing. Dorénavant, aucun produit ne peut être étiqueté comme "responsable" sans disposer de preuves tangibles à l'appui

Les défis et les limites qui se dressent

1- Une classification pas si évidente

Depuis la mise en place de la réglementation SFDR, il y a eu une certaine confusion concernant la distinction entre les fonds article 8 et les fonds article 9. La difficulté réside principalement dans la définition de ce qu'est réellement un investissement durable.

  • La SFDR stipule que les fonds article 9 doivent respecter le principe de DNSH (Do no Significant Harm), ce qui signifie que leur activité ne doit pas porter atteinte aux objectifs environnementaux ou sociaux de la taxonomie verte.
  • Toutefois, cette définition reste assez vague, laissant place à différentes interprétations selon les acteurs financiers.
  • En conséquence, l'entrée en vigueur des RTS a conduit, fin 2022, à une déclassification massive de fonds article 9 vers l'article 8.

PS : La SFDR a été renforcée en 2022 par l'adoption des RTS (Regulatory Technical Standards), des normes qui requièrent des données précises concernant à la fois les produits financiers et les entités les proposant.

Face à cette situation, la Commission Européenne a été sollicitée pour clarifier les critères de durabilité permettant de définir un fonds article 9. Dans une lettre datée du 14 avril 2023, elle a annoncé qu'elle ne fournirait pas de réponse à cette question, laissant ainsi aux acteurs du secteur financier le soin de déterminer ce qu'ils considèrent comme des actifs durables.

2- Une labellisation dangereuse

La Commission insiste sur le fait que la réglementation SFDR a été conçue avant tout comme un cadre de reporting imposé aux fournisseurs de produits financiers, et non comme un outil de labellisation des produits.

Cependant, la classification Article 6 / Article 8 / Article 9 a été largement adoptée par les sociétés de gestion comme une forme de label, permettant de distinguer les fonds les plus durables des fonds conventionnels.

Cette tendance à utiliser la SFDR comme un label risque de favoriser le greenwashing. Les concepts et les définitions établis dans ce règlement n'ont pas été spécifiquement conçus pour labelliser. Au contraire, ils étaient destinés à englober une large variété de produits financiers, afin que toute revendication de durabilité soit accompagnée d'une justification adéquate.

3- Une illusion verte ?

En 2022, Le Monde titre : “La grande tromperie des fonds d’investissement « verts »” et publie une enquête intitulée “The great green investment investigation”  au cours de laquelle ils étudient 838 fonds “Super Verts” sur les 1141 existants au moment de leur analyse.

L'article révèle une discordance entre les promesses de ces fonds et leurs investissements réels. Ils ont pu noter que près de la moitié des fonds considérés comme article 9 investissent dans les secteurs de l’aviation et des énergies fossiles, mettant à mal les critères de classification mis en place par la SFDR.

L’article dévoile : “Alors que la réglementation européenne qui les définit (le fameux « article 9 ») leur impose de financer uniquement des actifs durables, nous avons identifié dans leurs portefeuilles dix des vingt entreprises tenues responsables de plus d’un tiers des émissions mondiales de GES par le Climate Accountability Institute.”

Cette situation révèle les limites des critères de labellisation ESG, qui conduisent parfois à des contradictions et à du greenwashing.

Vers une refonte de la réglementation ?

Depuis septembre 2023, la Commission Européenne a entamé une double consultation.

  • La première partie de cette consultation vise à recueillir les témoignages de divers acteurs concernant leur perception des exigences réglementaires et des règles de reporting qui en découlent.
  • La seconde partie, menée auprès d'un public plus restreint, a pour objectif d'évaluer avec précision la pertinence de la réglementation ainsi que la classification des fonds selon les catégories 6, 8 et 9, en proposant des alternatives.

💡 La nécessité de réglementer les investissements ESG fait consensus, les années à venir nous laissent entrevoir une possible refonte des normes pour surmonter les défis de la réglementation et mieux répondre aux attentes de la finance durable.

Sources :

  • L’impact des banques sur le climat : tout comprendre, Oxfam (2023, 16 mars)
  • La SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) c’est quoi ?, Youmatter (2024, 25 mars)
  • Le « gâteau » de la SFDR n’est pas complètement cuit, Paperjam (2024, 20 mars)
  • Les produits financiers « verts » sont-ils à la hauteur de leur ambition environnementale et sociale ?, Boursorama (2023, 8 avril).
  • NFRD, CFRD, SFRD, Taxonomie. . . kesako ?, Eurazeo
  • Qu’attendre de la nouvelle version de la SFDR ?, Positivéco. (2023, 22 novembre)
  • Le règlement Disclosure (SFDR), Novethic (2024, 15 février)
  • La grande tromperie des fonds d’investissement « verts », Le Monde.fr (2023, 23 février).
  • Tout comprendre sur la réglementation SFDR, Traace
  • État des lieux des classification SFDR sur le marché des fonds français et exposition des portefeuilles aux énergies fossiles à fin 2021, AMF (2023)
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