À travers El Sofa, Bloomr interroge chaque mois une personne qui a choisi de s’engager, à sa manière, pour construire une société plus juste et plus durable. À travers cette interview d’une vingtaine de minutes, nous souhaitons partager son parcours de vie et ses engagements afin de nous inspirer et de nous pousser à agir à notre échelle.
Qui es-tu ?
Marie-Lou Poullot, 27 ans. J’ai grandi dans un petit village dans les Yvelines puis j’ai suivi le parcours typique : baccalauréat scientifique, diplômée en économie d’une grande école. Durant ma licence, j’ai eu la chance de faire un échange universitaire à Boston. J’y ai suivi un cours très inspirant sur l’économie de l’environnement qui a déconstruit toute ma conception de l’économie classique. J’ai eu une prise de conscience sur le fait de vouloir m’engager sur ces questions alternatives, celles qu’on ne soulève peut-être pas assez. Je me suis donc orientée vers un master de recherche en développement durable.
Tu t’es engagée très vite sur les projets locaux, d’où t’es venue cette volonté ?
Le village où j’ai grandi, bien que trop petit pour disposer de commerces classiques, est riche de ses producteurs locaux et de son engagement associatif. De ce constat-là est née l’idée en 2015 de créer une épicerie gérée bénévolement, en autonomie et approvisionnée par les producteurs des alentours. Ce projet, porté par plusieurs familles de la commune dont mon père, mon frère et moi, a eu très vite un écho beaucoup plus large. Ainsi, c'est plus de 100 personnes en un an qui ont adhéré à cette association.
Cela a également attiré l’attention des communes aux alentours qui ont voulu répliquer le projet. S’est alors posée la question du passage à l’échelle. Avec mon père, nous avons beaucoup échangé sur la manière dont on pouvait aider ces territoires à mettre en place une solution similaire.
En 2017, après un an de réflexion, nous avons donc créé Monépi. En effet, il était important pour nous de trouver le bon statut et les bonnes valeurs pour que ce projet puisse être répliqué sans dévoiement. Nous étions conscients que c’était une manière de fonctionner pour le moins originale : c’est un modèle direct producteur, participatif, sans marge et collectif. Nous avons vraiment voulu protéger cette unicité et la proposer à tous les épis qui voulaient se monter. Et ça a marché ! Aujourd’hui c’est plus de 200 épis qui sont ouverts.
C’est donc en appliquant directement les enseignements de mon master en développement durable avec le projet Monépi que j’ai très rapidement mis les pieds dans les sujets du local, du participatif et des collectifs qui agissent.
Peux-tu nous parler de 1000 cafés dont tu fais partie ?
Je suis tombée par hasard sur 1000 cafés. Il s’agissait des prémisses du programme qui avait pour but d’ouvrir des lieux de convivialité dans les toutes petites communes qui étaient dépourvues de ces services. J’y ai trouvé beaucoup de sens. En effet, je voulais apprendre dans un programme qui se structurait, qui avait beaucoup d’ambition et qui allait dans le même sens que Monépi.
Cela fait maintenant 4 ans que j’y travaille et que j’ai gravi les échelons pour occuper le poste de directrice adjointe. Nous avons ouvert des cafés dans beaucoup de communes de France (NLDR : 221 à ce jour !). On accompagne des gérants. On les aide à monter des cafés associatifs, des cafés itinérants. On travaille sur les questions de mobilisation citoyenne.
Quel est le lien entre Monépi et 1000 cafés ?
Le lien avec Monépi est assez évident, le but est d’apporter un service résilient porté par un collectif dans des lieux délaissés. On ne vient pas apporter une solution là où il n’y a pas besoin et pour cela, on s’éloigne parfois de la logique purement économique. En effet, dans certaines zones, il faut retrouver les moyens de se rassembler, de coopérer, d’avoir accès aux services de base.
Développer l’entraide me paraît indispensable. Au cours de mon parcours , j’ai lu beaucoup d’études qui montrent que le lien social est essentiel dans la résilience territoriale, dans la gestion des crises.
Ce sont des choses qui m’ont beaucoup fait réfléchir et c’est ma manière concrète de trouver un soutien face aux grands enjeux de notre siècle.
Pourquoi dis-tu que tu n'avais pas forcément envie d'entreprendre mais plutôt de répondre à un besoin ?
Je dirai que, dans l’écosystème startup, il y a beaucoup de création de besoin. Il y a beaucoup de marketing pour mettre en avant de nouvelles idées, ce qui engendre de la consommation et de la croissance.
Les thématiques sur lesquelles je travaille et auxquelles j’ai voulu apporter une réponse sont intimement liées aux besoins vitaux (se nourrir, se loger, coopérer). Pour adresser une réponse à ces problématiques essentielles, il faut entreprendre, mais c’est une approche entrepreneuriale un peu différente.
Les deux sont donc liés, mais la manière d’appréhender les choses n’est pas la même. Je pense que contrairement à l’écosystème start-up, je me suis engagée dans des projets nourris par mes projets de recherche universitaire.
Cela n’empêche pas qu’il y ait beaucoup de belles startups qui se créent, je ne décris pas du tout l’écosystème, loin de là !
Comment l'action collective se manifeste dans tes projets et pourquoi c’est si important pour toi ?
Si on prend l’exemple de Monépi, c’est 100% de l’action collective. Ce sont des habitants qui se rendent compte qu’ils un besoin. Nous les accompagnons dans la mobilisation et la création d’un collectif. Avec les bons outils et la bonne ingénierie en termes de capacité à organiser leur fonctionnement, ils arrivent à leur objectif.
Il y a très peu de limites à l’action collective hormis le fait de réussir à s’entendre. C’est pour cela qu’il faut bien penser et structurer la gouvernance pour éviter l’essoufflement. L’approche participative que l’on retient chez Monépi c’est de contribuer pour accéder au service et ainsi entretenir le système. Cela s’inscrit dans la logique économique des communs avec une ressource partagée et des règles à suivre pour y accéder.
Pourquoi c’est si important ? Si les personnes coopèrent, elles ont la capacité de rebondir. J’en suis convaincue. Par exemple, quand l’on compare des communautés ravagées par des tsunamis, on se rend compte que celles qui étaient déjà soudées ont pu se reconstruire et faire face à l’imprévu. Quand nous prenons conscience que notre société fera face à de nombreuses crises, il est évident que nous ne pourrons pas tout anticiper, tout prévoir. Par contre, nous pourrons faire en sorte que les humains aient les outils pour coopérer. La question du collectif et de la résilience s’approche donc différemment et permet d’aborder le futur plus sereinement.
Penses-tu que la dynamique du collectif peut nous faire sortir de cette crise sociale et écologique ?
Globalement, la dynamique entraîne la dynamique. Le collectif engage des personnes qui sont curieuses, qui ont envie de voir comment ça fonctionne et qui vont vouloir participer. On a une attraction naturelle à vouloir faire partie du groupe.
Toutefois, un groupe a une limite. Il y a des règles à respecter et donc se pose la question des compromis, des valeurs du collectif et de son accessibilité.
Est-ce que c’est la clé pour l’avenir ? C’est compliqué à dire, car c’est aussi une approche de contraintes qui ne plaît pas à tout le monde. Les personnes ne sont pas issues du même parcours et n’aurons pas la même propension à s’engager bénévolement.
Je ne sais donc pas si c’est une réponse universelle. L’action collective donne lieu à de très beaux projets, de très beaux endroits, mais c’est un mécanisme qui ne convient pas à toute la population.
Comment ta famille a eu une influence sur ton envie de changer les choses ?
Monépi est marqué par la logique intergénérationnelle et mon père est une figure prédominante du projet. Il a eu la capacité de maintenir la vision, le cap. Il y a toujours cru malgré le rythme difficile, les interrogations et parfois les problèmes de financement. Il a entraîné beaucoup de monde. J’ai eu des débats sans fin avec lui.
C’est aussi une chance d’avoir ce type de relation. Cela permet de maintenir des liens que j’aurais peut-être exploités différemment dans un autre contexte.
Finalement, j’ai mené un projet associatif avec ma famille et mon village. Il y a donc un attachement très fort aux racines du projet. On a envie de le protéger tel qu’il est né, au tout début.
Pour toi notre existence a-t-elle un sens ? Si oui, lequel ?
Est-ce que la vie humaine en tant que telle a un sens ? Je ne crois pas. J’ai une approche assez naturelle des choses. Selon moi, on est une espèce animale parmi d’autres. Je pense que la nature va bien au-delà de la condition humaine.
Pour autant, est-ce qu’on devrait donner du sens à notre propre existence ? Je pense que c’est important. Chacun y donne le sens qu’il veut, bien entendu, mais c’est un compas. Bien qu’il ne faille pas trop sur-intellectualiser la chose, il permet de prendre de la hauteur et d’aider à la prise de décision dans les grands moments de vie.
Est-ce qu’il y a une personne qui t’inspire particulièrement ?
Je n’ai pas une personne spécifique qui m’inspire. Toutefois, je suis assez fascinée par toutes les personnes qui travaillent sur les low-tech. J’aime beaucoup leur approche assez pragmatique et simple des choses.
Peut-être, ce qui me parle tout particulièrement, c’est que ce sont souvent des ingénieurs issus de parcours classique qui changent de cap et qui ont un impact monumental auprès de beaucoup de populations.
Merci beaucoup Marie-Lou pour ce changement de perspective et tous tes éclairages sur l’importance du vivre ensemble !
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