El sofa

Episode 5 : J’ai voulu raconter l’histoire de l’océan

Pour ce cinquième épisode de El Sofa, nous accueillons Maxime de Lisle, consultant, activiste et bédéiste engagé pour la protection de l’océan . A travers cet entretien, il nous partagera ses multiples expériences au coeur de l’océan ainsi que sa vision de l’engagement et de la mise en action.

Anne Maurer
May
2024

À travers El Sofa, Bloomr interroge chaque mois une personne qui a choisi de s’engager, à sa manière, pour construire une société plus juste et plus durable. À travers cette interview d’une vingtaine de minutes, nous souhaitons partager son parcours de vie et ses engagements afin de nous inspirer et de nous pousser à agir à notre échelle.

Qui es-tu ?

Je m'appelle Maxime de Lisle. Je travaille depuis bientôt quatre ans pour la protection des océans et j'ai plusieurs casquettes à la fois.

Je travaille pour une organisation internationale, IPOS, bientôt sous l'égide des Nations Unies, qui conseille les chefs d'Etat et les ministres et j'ai lancé une petite association, Seastemik, beaucoup plus militante, toujours sur ce sujet. En parallèle, j'ai créé des bandes dessinées pour raconter ce qui se passe sur l'eau et sous l'eau. Et surtout là, sur les trois dernières années, j'ai passé un an en mer avec une ONG qui s'appelle Sea Shepherd, qui fait de l'action directe pour lutter contre la pêche illégale.

Le sujet au cœur de ma vie c’est l'océan, sans qui on ne peut pas vivre et qui ne va pas bien pour pleins de raisons et pour lequel j’agis de manières diverses et complémentaires.

Peux-tu nous parler de IPOS et Seastemik ? Quel est le lien entre les deux ?

Ce sont les deux organisations pour lesquelles je travaille en ce moment.

L’IPOS c’est l'International Panel for Ocean Sustainability. L'IPOS se propose d’être un hub qui centralise tous les savoirs sur les océans, pour permettre aux décideurs politiques de prendre les bonnes décisions afin d’engager des changements systémiques pour réduire les impacts du changement climatique sur la biodiversité marine.

C'est un projet passionnant qui permet de créer un lien entre la politique et la science et qui peut donc avoir des impacts à grande échelle.

Seastemik est une association que nous avons lancé avec des anciens de Sea Shepherd en se demandant : “Comment on-peut adresser la première source de destruction des océans qui est la surconsommation de poissons et donc la surpêche?”

Nous avons donc voulu traiter ce problème du lien entre les océans et notre alimentation notamment la consommation d’espèces comme le saumon.

Tout le monde est responsable, que ce soit les Etats, les individus, mais aussi les entreprises qui ont un rôle fondamental et transformateur à jouer. S'ils comprennent l’enjeu destructeur de la surpêche de saumon par exemple et qu’ils changent un peu leur sourcing et leur manière de travailler, ce n'est pas des dizaines mais c'est des millions de poissons qui vont être sauvés et avec eux tout un écosystème qui va pouvoir se restaurer. Ce qu’il faut comprendre c’est que l’impact est multiple : sur les populations de pêcheurs artisans, sur l'Antarctique, sur la forêt amazonienne, sur le carbone, etc.

Notre démarche consiste à trouver des solutions avec une approche qui se veut militante, engagée mais pas trop sombre, parce qu’il faut garder un peu de joie et un peu d'espoir.

Comment es tu devenu activiste pour la protection des océans ?

L'océan a toujours été très fortement ancré en moi. J'ai grandi en région parisienne, et les meilleures vacances d'été c'était à la mer. Quand j'étais à la fac j'ai étudié la finance, puis l'économie mais j'étais dans une association qui organisait une régate. Mon année de césure, je ne l'ai pas faite en banque, comme tous mes copains de classe, mais j'étais dans la marine nationale sur des bateaux. Et puis après, en effet, j'ai fait une grande pause de dix ans où j'étais plutôt en Afrique, au Moyen-Orient ou à Paris, dans le monde du conseil, puis dans l’écosystème startup. J’avais besoin de voyager, de me construire, de disposer d’une expertise. Puis, l'océan a commencé à s’imposer à moi pour plusieurs raisons.

J’ai d’abord eu une prise de conscience écologique qui a grandi jour après jour. Je me sentais vraiment tiraillé entre mon travail que je trouvais  passionnant et mon envie d’agir pour la planète.

Ensuite, ce qui m'a dirigé vers l'océan, c'est à la fois du rationnel et de l'émotionnel.

Je suis réellement ému par l’océan :  c'est un endroit où je me sens bien, ça me parle, ça me porte.  Je voulais habiter au bord de l'eau pour voir la mer, pour être dans la mer, pour surfer, pour avoir des copains qui sont des marins, des pêcheurs, des commandos marine, etc.

Et puis le choix rationnel a été motivé par le fait  qu’il n'y a pas de vie sur notre planète avec un océan malade. Il représente 50% de l'oxygène qu'on respire, c'est le plus gros régulateur du climat et il y a des milliards de personnes qui dépendent de lui pour s'alimenter. Je me suis donc dit que si l’on veut protéger la planète à grande échelle et avoir de l'impact, il fallait se pencher sur cet écosystème.

Ce qui m’a aussi beaucoup aidé c’est de connaitre une rupture dans ma vie personnelle qui m'a réouvert le champ des possibles. J'ai pu prendre du temps pour moi et prendre la décision de m'engager sur les bateaux de Sea Shepherd. Finalement, parfois, les événements que nous  croyons les plus douloureux sont finalement transformateurs pour le mieux.

Est-ce que tu penses que la rupture est une étape nécessaire pour passer le pas vers une autre étape ?

J'ai deux réponses à la fois. Je n’ai pas envie de dire que c'est nécessaire parce que sinon il y a plein de gens qui vont se dire : “ma vie est un long fleuve tranquille, je ne vais jamais changer et je vais continuer à avoir des impacts négatifs sur la planète, sur les autres ou même sur mon mental”. En ce sens, je ne veux pas croire qu'il faille absolument une crise pour pour changer. Après, comme dans tout, les crises sont des accélérateurs de changement.

C'est dans les moments de crise qu'on se pose des questions fondamentales. Mais ces dernières peuvent prendre plusieurs formes : des prises de conscience, des ras-le-bol de boulot, des envies d'ailleurs ou même des opportunités. En effet, il existe des “crises positives” : une opportunité, une rencontre, etc.

Je ne suis pas sûr que nous soyons obligés d'être dans un tunnel sombre pour changer. Je n'espère pas.

Que penses-tu du rôle de la nature dans ce processus de guérison ?

Je pense qu’en termes de santé, pas juste de santé mentale, c'est fondamental de passer du temps en nature.

À partir du moment où je vois la ligne d'horizon de l'océan, même si j'ai passé la pire journée de la terre, je me sens calme. Il y a une fréquence qui arrive de l'océan qui vous apaise.

Lors de mon voyage en Alaska nous avons passé deux semaine à ramer pendant 10h. Il ne se passait rien d'autre que pagaie à gauche, pagaie à droite mais cela m’a permis de retrouver ma créativité et d’apaiser mes pensées.

C'est d’ailleurs comme ça que l'idée de faire des BD m'est venue. C'est en étant sur un kayak avec des copains, en se disant : comment  raconter cette aventure ? En étant sur l'eau, on a le temps de réfléchir. Donc l'action du récit est arrivée aussi.

Je pense que nous gagnons des points de vie et de belles histoires à raconter en s’immergeant dans la nature.

C'est aussi très important pour la préservation de la planète. Toutes les limites planétaires sont en train d'être dépassées car nous ponctionnons toutes les sources de vie sur la planète, de manière très clinique. Cela s’explique par notre déconnexion croissante à la nature qui fait que nous ne savons plus l’apprécier à sa juste valeur

Nous devrions donc tous passer beaucoup plus de temps au vert ou au bleu aussi bien pour nous même que pour les écosystèmes qui nous entourent.

Pourquoi avoir choisi le format de la bande dessinée pour informer et sensibiliser ?

J'avais avant tout besoin de raconter des histoires, pas mon histoire, mais des histoires. Je voulais raconter l’histoire de l'océan, de pourquoi c'est beau, des baleines, de Sea Shepherd qui passe tout son temps sur l'eau pour lutter contre la surpêche, des impacts sociaux et environnementaux, etc.

Il y a tellement de choses à raconter et c'est assez ignoré, parce qu'en mer, les gens sont loins, c'est assez obscur donc on ne sait pas trop ce qui se passe. C'était vraiment important pour moi de raconter tout ça, parce qu'il y a urgence et qu’il y a aussi pleins de belles choses, des histoires d'amour, des histoires d'aventure…

Je trouve qu’il se passe vraiment quelque chose avec la BD.  Nous pouvons mettre en avant des sujets très sérieux, des concepts techniques, mais il y a aussi le visuel et le côté artistique.

Je pense que c'est un média très aligné avec notre temps, le temps de l'image plutôt que du texte. C'est aussi le temps de ne pas avoir beaucoup de temps, justement : en une BD, que les gens mettent 1h à la lire, ils peuvent ressentir des émotions et se renseigner sur divers sujets.

Dans Le Passage Intérieur et dans Pillages, nous avons inséré des planches didactiques où nous expliquons des sujets tels que la surpêche, l’importance des océans, le kayak, les esclaves en mer, etc, pour qu’en un coup d'œil, les personnes comprennent les enjeux.

J’ai une troisième BD qui sort en janvier prochain, qui s'appelle On a mangé la mer. C'est une plongée dans le secteur de la pêche en France. Si j’avais écris ça sous forme d’essai j’aurais pu en vendre peut être 300. Je pense que la BD permettra de toucher d'autres personnes, grâce notamment à la beauté des illustrations. En termes d'impacts potentiels et d'audience cible, c'est donc beaucoup plus fort.

Est-ce que tu pourrais nous raconter ton aventure chez Sea Shepherd ?

Sea Shepherd est une ONG américaine qui a 45 ans maintenant et qui est spécialisée dans la protection des océans. Elle lutte notamment contre la pêche illégale, avec une dizaine de bateaux un peu partout dans le monde. Pour y parvenir, elle mène différents types d’actions.

Parfois il s’agit juste de documenter et parfois, il faut aller pourchasser les pêcheurs illégaux. Dans ce cas là nous agissons en partenariat avec les gouvernements locaux. Nous naviguons sur un gros bateau d’environ 55 mètres avec 25 membres d'équipage et une petite dizaine de locaux, des militaires qui assurent la sécurité et des inspecteurs des pêches.

Tout cela nous permet d'inspecter des bateaux légalement pour savoir s'ils ont des espèces protégées ou des engins de pêche interdits. Nous contrôlons également ceux qui pêchent dans les aires marines protégées.

La première fois, j'étais au Bénin, pendant trois mois de mer et trois jours de pause au milieu.  Nous passions donc tout notre temps en mer à jouer au chat à la souris avec des braconniers.

Une grosse partie de la pêche illégale se fait aux frontières. Ce sont des bateaux des pays voisins qui viennent la nuit illégalement entrer dans les terres pour aller piller les poissons. Notre but est alors de les détecter grâce au radar du bateau mère puis nous mettons en place un espèce de guettapen avec des équipes dans des zodiacs, dans le noir, pour attendre que les bateaux rentrent dans la frontière. Dès que nous avons la preuve légale que les chalutiers se trouvent dans une zone marine protégée, nous montons à bord  afin de les condamner. Suivant la nature de l’infraction, le bateau peut être saisi et remis à la justice, le commandant peut partir en prison, et l'équipage est renvoyé à la maison. Après ça, Sea Shepherd a terminé son travail de marin et le reste revient à la justice locale.

Le bateau ne s'arrête jamais dans des zones où il y a vraiment de la piraterie. Nous nous sommes faits attaquer en 2020 par des vrais pirates qui venaient pour kidnapper des gens. Dans ces cas là, ça part dans des histoires plus intenses qui finissent souvent par des coups de feu. Il n'y a pas eu de blessé mais un peu de stress.

Voilà à peu près la vie à bord. C'est 25 personnes, entre 20 et 60 ans, avec beaucoup de femmes à des postes de responsabilité et toutes les nationalités qui sillonnent les mers à la recherche de braconniers. Il y a des personnes très diplômées, des entrepreneurs ou des personnes qui ont eu cette vocation dès le début. C'est un mix entre des personnes très engagées et d'autres qui sont plus ordinaires comme moi.

Tu as déjà évoqué qu’au cours de son existence, nous avions plusieurs vies. Peux-tu nous expliquer ce que tu entends par là ?

Je pense que la vie est tellement riche. J'ai envie de découvrir pleins de choses. Selon moi, nous pouvons avoir de multiples vies parce car il y a différents métiers qui vont nous intéresser, parce que nous allons peut être vivre avec des personnes différentes, car nous allons avoir des enfants à différents endroits, etc.  Il y a plein d'opportunités !

Se dire que nous allons avoir plusieurs vies, ça permet vraiment de dédramatiser les choix et d'accélérer les changements.

Il y a plein de personnes qui rêvent de donner du sens à leur vie, mais qui ont peur du risque que ça représente.

Il y un vrai besoin d'engagement. C’est dommage de se mettre des freins par peur. Cela génère beaucoup de souffrance personnelle et c’est aussi beaucoup d'énergie perdue pour faire quelque chose qui nous tient à cœur et qui fait du bien, qui ne détruit pas le monde mais qui le protège et le rend meilleur.

Le fait de se dire qu'on va pouvoir profiter de la vie, ça dédramatise les choix. En fait, il y a deux choix qui sont engageants ad vitam : donner la vie et la reprendre. Pour le reste, autant y aller et s'amuser un peu, faire des choix courageux qui nous entrainent, qui nous animent.

Il y a un autre truc qui m'obsède, c'est comment à 85 ans, sur mon lit de mort, je vais me retourner en me disant : ”Ah mais en fait, j'ai passé quinze ans à me morfondre parce que j'étais coincé par un prêt immobilier”. C'est absurde.

Pour toi, c’est quoi le sens de notre vie sur terre ?

Il y a deux réponses. J'aime bien les grands écarts.

La première, c'est que, dans le cosmos, nous ne sommes rien. Tu as beau être le président de la République le plus puissant de la planète, c'est éphémère et sans importance pour l’équilibre des choses. La vie n’a alors pas de sens et c’est peut être un peu rassurant.

Par contre, à notre échelle de temps et d'espace, je ne sais pas si la vie a un sens, mais on peut lui en donner un. Et je trouve ça beaucoup plus beau et plus intense, à la fois personnellement, mais aussi dans les relations qu'on va tisser avec les autres humains, avec notre environnement. Pour moi, c’est le sel de l'existence.

Je pense que le sens que j’essaie de donner à ma propre vie, c'est de dire : “comment mon existence peut ne pas détruire le monde mais le protéger ?” et faire ça avec le plus de joie et de légèreté possible.

Est-ce que tu peux nous partager quelques références culturelles qui ont inspiré ton engagement ?

Oui, il y a un livre qui a été un déclic pour moi et un livre que j'ai fini dimanche.

Le livre déclic, c'est Comment tout peut s'effondrer, de Pablo Servigne qui commence un peu à dater. C'est un scientifique qui a synthétisé tous les savoirs pour parler de l'effondrement de notre planète, et surtout, du lien très fort entre la raison scientifique et de ce que ça crée en nous. Il a écrit le tome deux : Une autre fin du monde est possible, vivre l'effondrement, qui s’intéresse à comment faire une fois qu'on a réalisé que les 20 ans à venir ne vont pas du tout ressembler aux 20 dernières années. Il m'a permis de comprendre de manière globale ce qui se passe et ensuite de comprendre intimement comment je peux travailler ça.

J'ai aussi compris qu'on peut avoir plusieurs émotions en même temps. Nous pouvons être déprimés pour le sort du monde et en même temps joyeux le temps d'un dîner ou d'une bière. Notre cerveau est aussi complexe que ça.

L'autre livre c'est le dernier essai de Corinne Morel Darleux, une auteure française brillantissime, qui a fait un gros carton avec un livre qui s'appelle Plutôt couler en beauté, que flotter sans grâce. Son dernier livre s'appelle Alors nous irons trouver la beauté ailleurs qui me parle beaucoup en ce moment dans mes questions de comment faire du militantisme qui a de l'impact et qui ne brûle pas intérieurement ?

Elle met en avant trois composantes pour avoir de l'impact durable. Il faut tout d’abord de la poésie, des nouveaux récits. Il est nécessaire d’inspirer, de raconter de belles choses. Ensuite, il faut aussi de la résistance. Nous devons lutter contre les projets écocidaires, l'installation de nouvelles usines de pétrole, etc. Résister et aussi montrer le chemin. Il faut trouver des solutions et les mettre en œuvre. Et quand il y a ces trois choses là, ça marche bien.

Un grand merci Maxime, de nous avoir raconté tes récits d’aventures, tes engagements pour l’océan et de nous avoir partager ton optimisme et ton dynamisme !

Retranscription : Apolline Fabert

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