À travers El Sofa, Bloomr interroge chaque mois une personne qui a choisi de s’engager, à sa manière, pour construire une société plus juste et plus durable. À travers cette interview d’une vingtaine de minutes, nous souhaitons partager son parcours de vie et ses engagements afin de nous inspirer et de nous pousser à agir à notre échelle.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Boris Bourgogne, j'ai été athlète de haut niveau au water-polo, sport assez méconnu, un peu à l'image des Jeux paralympiques. Aujourd'hui, je ne suis plus athlète, je suis entièrement passé dans le monde professionnel. Je travaille au Comité Paralympique.
Peux-tu nous présenter le Comité Paralympique ?
Les Jeux Paralympiques sont le parallèle des Jeux Olympiques. Mais, ce sont des jeux avec une autre âme qui ont un impact réellement différent sur la société. Les jeux olympiques ont aussi un impact positif sur la ville et la population, mais les jeux paralympiques c’est une autre dimension.
Au Comité Paralympique, je ne travaille pas sur l'organisation des Jeux en tant que telle. L'organisation des Jeux se fait par le comité d'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques.
Nous sommes l’équivalent du Comité Olympique Français et nous avons une double mission :
- La première c'est de suivre, emmener et gérer la délégation française aux Jeux Paralympiques, mais aussi dans les compétitions internationales.
- La deuxième c’est le développement de la pratique parasportive, pour les personnes en situation de handicap, sur le territoire. Dans ce cadre là, nous nous dissocions des questions de haut niveau, nous traitons davantage des questions de développement et d'impact direct pour l'individu dans sa pratique du sport.
Comment es-tu arrivé dans le monde du sport de haut niveau ?
Par hasard, comme tout le monde finalement. Personne n’est prédestiné à devenir athlète de haut niveau. Ce qui change c’est la motivation à le devenir.
Je viens de Noisy-le-Sec, en banlieue parisienne, et j'ai commencé l'apprentissage de la natation là-bas, au sein du club de la ville. Après quelques années, j’ai dû choisir entre deux sections : le water polo ou la natation artistique. J’ai donc choisi water polo.
A 7 ans, je m’entrainais une fois par semaine et, très vite, un peu plus. C'est un club qui avait une équipe en première division et qui ne faisait quasiment que de la compétition et du haut niveau. Il y avait très peu de sections de loisirs.
Puis, de fil en aiguille, j’ai eu une porte d'entrée pour aller à l'Insep en internat, au Pôle France. J’étais dans le bain. Ça m’a plu et j’ai eu envie de continuer.
J'ai été athlète de haut niveau mais pas si longtemps que ça. J'ai arrêté ma carrière à 24 ans, ce n’est pas si tard. Bien que j'étais professionnel, il est difficile de vivre du water polo. J’étais arrivé un peu au bout de mon projet et il a fallu prévoir la suite et basculer dans la vie professionnelle, plutôt dans l’encadrement du sport.
C’est quoi être athlète aujourd'hui ?
Dans le quotidien, c'est différent selon les sports et les athlètes, c’est donc difficile de définir tout le monde de la même façon.
Ceux qui sont identifiés dans les équipes de France ou athlètes dits haute performance sont plutôt suivis et accompagnés notamment grâce aux Jeux, où tous les acteurs privés ou publics sont mobilisés aussi bien à l’échelle municipale, départementale, etc.
Quand on élargit le cercle, il y a plus de disparités entre les athlètes mais également selon les sports. Si je prends l’exemple du water-polo qui est un “petit” sport, peu médiatisé, nous avons tout de même la chance d'avoir un championnat professionnel qui crée une économie autour du sport. Mais en ce qui concerne la natation synchronisée qui est aussi au sein de la Fédération Française de Natation, c’est un sport qui est beaucoup moins bien accompagné parce que il n'y a pas de circuit professionnel. Donc, en dehors des athlètes qui sont en équipe de France, il y a de vraies disparités.
En résumé, il n'y a pas une vraie méthode qui fait que tout le monde est athlète de haut niveau, de la même façon et a envie de vivre son sport de la même façon. Certains ont pleins de choses à côté et d'autres vivent de cette passion, parce que c’est au fond d’eux. Ça devient un métier, ce n’est pas quelque chose “à côté”.
Être athlète de haut niveau, c'est aussi beaucoup, beaucoup d'entraînement, je n’apprends rien à personne. Il y a des disciplines où il n’y a pas le choix que de faire énormément d'heures et d’autres moins, notamment parce qu’il y a plus d’impact sur le corps ou que c’est plus technique.
L'entraînement implique également un cadre, d’autant plus dans le haut niveau, à savoir les soins, la kiné, la récupération, la préparation mentale, etc.
Et pour les athlète paralympique ?
Être athlète paralympique aujourd'hui, ça se rapproche de ça mais avec quelques différences. Il n'y a pas une réalité, il y a des sports. En plus, selon le degré d'handicap de la personne, elle ne va pas pouvoir faire plusieurs heures d'entraînement par jour. Ce qui n’est pas forcément nécessaire, par ailleurs, pour atteindre le niveau d'une discipline.
Pour prendre l'exemple de la Boccia qui est un sport pour des athlètes qui sont atteints d'un handicap plutôt important, on ne peut pas s'entraîner cinq heures par jour. C'est un sport de précision, c'est un sport où le corps doit aussi être écouté autrement.
Si on prend l’exemple du cécifoot, il est possible de faire beaucoup d'heures mais cela va aussi dépendre des infrastructures et de la capacité d'accompagnement. Cette question de l’autonomie se pose beaucoup derrière les athlètes paralympiques, et globalement derrière le handicap.
Donc, au-delà des moyens individuels que peut avoir l’athlète, il s’agit de savoir dans quelle mesure il peut bénéficier de l'infrastructure qui lui permet d'avoir un entraînement bien régulier.
Est-ce que travailler pour le Comité Paralympique t’a ouvert les yeux sur le handicap ?
Bien sûr, dans le sens où je le vois au quotidien. Pour autant, je ne le vis pas, mais je côtoie tout type de handicap notamment ceux qu’on ne voit pas. Le handicap invisible est le plus répandu dans la société. Par ailleurs, il faut noter que tous les handicaps ne sont pas représentés aux Jeux Paralympiques.
Je vois aussi beaucoup d'évolutions. Je trouve que tout va dans le bon sens. Mais c'est peut-être parce que c’est mon quotidien aujourd’hui. En arrivant, je ne connaissais rien à cet univers, ou très peu de choses.
D’autre part, les jeux paralympiques permettent de redonner de la place aux personnes en situation de handicap.
Les gens sont intéressés par l'événement. Lorsque nous avons organisé les Journées Paralympiques, qui étaient des journées de promotion pour découvrir les jeux paralympiques, nous avons accueilli quasiment 20 000 personnes à chaque fois.
Cela a démontré qu’il y a un intérêt pour le spectacle, pour l'animation, pour cette question du handicap sous le prisme du sport.
Sur l'univers plus largement du handicap, tout ça a forcément des bénéfices. On parle beaucoup de l'accessibilité, qui se pose au-delà du handicap aujourd'hui. Ces questions concernent toute la population, notamment avec le vieillissement. On est tous concernés par la perte d'autonomie.
Donc cette question des Jeux paralympiques est bien sûr sportive, mais elle touche bien d'autres domaines.
Comment penses-tu que la perception du handicap évolue dans notre société ?
Les villes et les pays où l'événement passe se transforment. Tout ne va pas changer demain, mais les Jeux font en sorte que les personnes en situation de handicap sont plus représentées, notamment dans les campagnes de pub. C’est aussi un sujet dont on parle beaucoup plus naturellement.
Par ailleurs, il s’agit d’un autre public. Le public qui s'intéresse aux Jeux Paralympiques est plus familial, plus féminin, là où le le public sportif “traditionnel”, par exemple, au foot, est encore très masculin et plus jeune.
Je pense que les Jeux Paralympiques vont faire un “avant / après”, que les gens porteront un regard différent sur le handicap et apprendront à l'accepter. Maintenant jusqu'où ils laisseront un héritage réel au-delà des questions d'accessibilité ? On ne le saura qu'après, mais je suis assez convaincu.
Tu peux nous parler de ta vision de l’engagement et comment elle se conjugue avec la pratique du sport de haut niveau ?
Je pense que la question de l'engagement, pour ma part, est une question de curiosité sur la société et d'échanges entre nous. Pendant longtemps mon seul intérêt n’était quasiment que le sport. Personnellement, je n’estime pas avoir conjugué les deux, dans le sens où il s’agissait plus de m’informer et de discuter.
On se pose souvent la question du lien entre le sport, la culture et la société. Il y autant d'individus que de sportifs. Certains sont passionnés par l'art, d'autres par la lecture ou touchés par un autre sujet qui les concerne directement, que ce soit un engagement sociétal ou environnemental.
Honnêtement, il est difficile de conjuguer des centres d’intérêts en plus du sport pour les athlètes. Pendant leur jeunesse, ils se sont dévoués à leur sport, à leur passion. Ils ont passé des heures et des heures d'entraînement, et c’est autant d’heures qu’ils n’ont pas passé à s’ouvrir à autre chose. L'individu se construit donc différemment.
Il ne s’agit pas de porter un jugement ou de les réduire. Pour certains le sport prend juste une place prédominante et c’est une culture en soi. D’autres vont développer des intérêts très profonds pour d’autres domaines : l’engagement, la culture, l’art, etc. C’est un véritable tableau de la société.
Pour toi, notre existence a-t-elle un sens ? Si oui, lequel ?
J’espère car sinon nos journées seraient un peu tristes. Je pense que nos vies doivent avoir un sens, un sens individuel et collectif. Ce qu’on aime ou ce qu’on veut faire ne doit pas impacter l’autre négativement. L’idéal serait même qu’il serve le collectif.
C’est peut être ça la difficulté : conjuguer ces deux aspects.
Est-ce que tu peux nous partager quelques références culturelles (livres, films, musique spectacle etc) qui ont inspiré ton engagement ?
Ce n’est pas une référence culturelle en soi, mais je vous invite tous à aller voir les Jeux Paralympiques et Olympiques aussi. C’est vraiment une belle expérience et une chance qu’ils se déroulent en France.
Nous organisons également un événement qui s’appelle Club France dans le parc de la Villette, sur la durée des Jeux. Ce sera un super moyen, au-delà des épreuves, de vivre, découvrir les sports et rencontrer les athlètes.
Et si je devais recommander un livre, ce serait les livres de Mourad Winter qui m’ont fait beaucoup rire. Ils s’appellent : L’amour c’est surcôté et Les meufs, c’est des mecs biens.
Merci beaucoup Boris pour ton partage d’expérience ! Nous suivrons avec beaucoup d’attention les Jeux Paralympiques !
El Sofa revient très vite avec une nouvelle saison, après une petite pause estivale !