El sofa

Episode 4 : Redonner de la chance à ceux qui en ont manqué

Pour ce quatrième épisode de El Sofa, nous accueillons Pauline Duhault, directrice adjointe de La Chorba. Ensemble, nous allons parler de son engagement pour une société plus juste, de l’empathie et de la solidarité.

Anne Maurer
April
2024

À travers El Sofa, Bloomr interroge chaque mois une personne qui a choisi de s’engager, à sa manière, pour construire une société plus juste et plus durable. À travers cette interview d’une vingtaine de minutes, nous souhaitons partager son parcours de vie et ses engagements afin de nous inspirer et de nous pousser à agir à notre échelle.

Qui es-tu ?

Je m'appelle Pauline, j'ai vingt-neuf ans et je suis adjointe de direction au sein de l'association La Chorba, basée à Paris.

Qu'est-ce que La Chorba ?

La Chorba est une association humanitaire qui oeuvre dans l'aide alimentaire tout en proposant des actions en faveur de l’insertion professionnelle et ce depuis 1998. Elle vient en aide aux personnes au jour le jour en veillant à leur besoin fondamental de se nourrir de la manière la plus digne possible.

Les distributions alimentaires de La Chorba sont inconditionnelles, les bénéficiaires reçoivent de l'aide sans avoir à justifier leur identité ou leurs revenus.

Qu’est ce qu’on appelle une situation de précarité ?

La précarité, et même la pauvreté au sens large, est un concept complexe qui implique plusieurs facteurs interdépendants. Par exemple, la perte de logement peut entraîner la perte du travail, puis l’accès aux soins, puis l’accès à une alimentation saine et à l’eau potable et ainsi de suite.

Quand on peut pas bien dormir le soir parce qu’on a froid et qu’on s’est fait voler ses affaires pendant la nuit, ça devient impossible d’avoir une vie normale et d’être en forme pour aller au travail. Les évènements s’escaladent et ça créé une réaction en chaîne.

En plus de tout cela, les démarches administratives étant de plus en plus dématérialisées, si on a plus de téléphone portable ça devient très difficile de se raccrocher les wagons. C’est une violence administrative qui empêche les personnes de sortir de leur situation de précarité.

Personellement, je suis profondément sensibilisée à la précarité et à la pauvreté. Je ressens cette injustice depuis petite lorsque j’ai pris conscience de la chance que j’avais dans ma propre vie, notamment avec mes études et mon niveau de vie. Je me dis : “Il faut que je redonne une partie de cette chance aux personnes en difficulté”. La Chorba permet justement d’apporter de l’aide et en échange, nous recevons énormément de sourires et de gratitude, c’est valorisant et très chouette.

Il y a également beaucoup de personnes qui viennent surtout pour le lien social, pour rencontrer des gens, échanger avec les salariés, les bénévoles et éventuellement participer à des activités après la distribution. Il y a beaucoup de personnes isolées**,** notamment des familles monoparentales et des personnes âgées.

Comment s’est passé le cheminement de la Défense à La Chorba ?

Depuis toute petite, je sais que je veux un travail tourné vers les autres. Mais mon engagement s’est précisé avec les rencontres, notamment celle avec un prêtre qui a tout quitté pour créer un foyer d’accueil pour les enfants des rues à Manille. Ces récits qui touchent à l’humain, avec des personnes qui se mettent en retrait d’elles-mêmes pour donner de leur temps aux autres, m’ont toujours beaucoup touchée. Ça permet de redonner un peu de la chance qu’on a eu et d’essayer de réparer ce qui est cassé.

Pour ce qui est de mon expérience, j’ai toujours été très bonne à l’école et j’ai suivi un parcours scolaire classique : classe préparatoire puis en école de commerce. Puis évidemment, on rentre dans le système. Pendant plusieurs années, je me suis persuadée qu’il n’y avait pas d’autre voie possible que la finance et le conseil.

Mais rapidement à la sortie de mon école, tout en travaillant en finance, j’ai commencé à être bénévole à La Chorba pour rester en accord avec mes valeurs. Puis en continuant mes recherche sur une manière de concilier un emploi en finance et un engagement plus profond, j’ai travaillé chez France Active, un financeur de l’économie sociale et solidaire. Ce travail m’a permis de comprendre que mes compétences étaient utiles et pas incompatibles avec le milieu associatif et que la finance pouvait servir à autre chose que de faire de l’argent.

Quand un poste s’est libéré à La Chorba, je savais  donc que cette opportunité était faite pour moi et que mes compétences seraient mises à profit. Une association est une structure comme une autre, avec des budgets à suivre, des demandes de financements à faire, des gens à manager. La seule différence avec les entreprises classiques c’est que ce n’est pas lucratif. Ça me convient parfaitement, j’ai besoin de croire en la cause qui est derrière mon boulot, de savoir pourquoi je travaille, et La Chorba remplit cette mission.

Dévier du chemin tout tracé à quel prix et quel bilan ?

Le bilan a posteriori est évidemment positif. Le fait de travailler dans une structure à taille humaine et d'être à un poste de direction à mon âge est très gratifiant et me permet de toucher à une grande diversité de tâches comme le recrutement, les RH et le management. Je n’aurais jamais pu le faire à mon âge dans une entreprise plus classique.

Cela m’a quand même demandé des sacrifices. Le salaire dans le secteur associatif est souvent limité et plafonné par les subventions. Ma progression salariale n'est donc pas la même que celle de mes amis ayant suivi les mêmes études que moi. Pour moi ce n’est pas bloquant, le sens que je trouve dans mon travail est primordial, mais je pense que pour certains ça peut l’être.

Le moment le plus difficile a été lorsque j'ai dû m'éloigner de l'idée préconçue de réussite véhiculée par les études en école de commerce. Me détacher de cette perspective m’a demandé du temps et a impliqué des renoncements par rapport à mes amis qui prenaient des chemins socialement plus valorisés. Mais je n'ai aucun regret quant à cette transition. Et étonnamment, au fur et à mesure du temps les gens comprennent et admirent ce choix.

D’ailleurs, à La Chorba il y a de plus en plus d'étudiants qui font des missions solidaires, c’est  quelque chose qui est demandé par les écoles. C’est bien, cela permet de sortir de la vision caricaturale du monde de l’entreprise et de prendre du recul. C’est aussi le devoir des écoles, faire prendre conscience aux étudiants et étudiantes qu’il y a autre chose que le secteur du conseil, de la finance et des RH.

As-tu déjà douté de ton engagement associatif ?

Au début, j'ai eu des doutes, surtout sur l'irréversibilité de mon choix et sur la perception que le secteur privé aurait de mon expérience. Mais je me rends compte maintenant que je sous-estimais le travail en association. Aujourd'hui, je n’ai plus aucun doute, et au contraire j’ai beaucoup appris et gagné en maturité professionnelle dans l’associatif.

Dans l’associatif on est motivés par la cause, je ne me laisse aucun moment de répit parce que j’ai envie d'améliorer les choses. Au final, être dans une association militante et être militant ça fait avancer beaucoup plus vite que si le seul objectif c’est la rentabilité de l’entreprise pour laquelle on travaille.

Quelle importance accordes-tu à l'empathie dans notre société ?

Pour moi, l'empathie est la plus belle qualité que l’on puisse avoir. On l’a tous, mais ça se travaille. Je pense que si on laissait tous s’exprimer notre empathie le monde serait meilleur et on réglerait beaucoup de problèmes sur cette Terre. Je vois l’empathie au niveau des salariés et des bénévoles qui aident à la distribution alimentaire, mais j’observe également quelque chose qui freine l’empathie : c’est la peur de l’autre.

Ce que je trouve chouette dans le bénévolat c’est justement que ça nous pousse à aller à la rencontre des autres et à se rendre compte que ces personnes sont comme nous, elles ont juste eu un accident de vie ou n'étaient pas adaptées à la société actuelle. Briser cette peur de l’autre et de la différence permet d’exprimer l’empathie. On peut être individualiste mais malgré tout ressentir de la peine pour les autres et aller vers eux.C’est pour cela que j’ai poussé mes amis à venir faire du bénévolat à La Chorba. Il est possible de faire seulement une action, ou plusieurs, c’est à la carte. Cela permet d’ouvrir les yeux de beaucoup de personnes.

Nous avons tout à gagner à être empathique et à la laisser s’exprimer. Cela rend heureux aussi.
Est-ce que notre vie a un sens, si oui lequel ?

Cette question est un peu compliquée. La vie en tant que telle, je ne sais pas si elle a un sens, en tout cas l’existence de chacun et chacune en a clairement un.

Chaque personne a des qualités, des compétences, une intelligence propre, c’est ce qui fait qu’il y a des choses à réaliser sur Terre**.** Après, est ce que la finalité de la vie a un sens ? Je n’en sais rien. En tout cas c’est clair qu’avec La Chorba et les rencontres diverses et variées que j’ai faites, je remarque que chacun a apporté quelque chose à l’association**,** y compris les bénéficiaires.

Par exemple, nous venons de clôturer notre distribution hivernale de repas chauds et certains bénéficiaires ont chanté pendant une semaine entière tous les soirs pour animer les tables. On a découvert des talents vocaux incroyables ! La vie de chacun a clairement un sens, il faut juste avoir le courage de laisser ses compétences s'exprimer. Après si la vie en tant que tel a un sens on le saura a notre mort, et si il y en a pas c’est pas très grave.

Est-ce que tu peux nous partager quelques références culturelles qui ont inspiré ton engagement ?

Depuis plusieurs années je m’intéresse beaucoup à la thématique de la migration et à la situation des personnes en exil. C’est très compliqué aujourd’hui de trouver des informations fiables et non biaisées par des opinions politiques ou morales. On rencontre beaucoup de personnes exilées pendant les distributions et c’est une cause qui me touche particulièrement.

Le livre que je suis en train de lire en ce moment s’appelle  "Les humbles ne craignent pas l'eau" du journaliste Matthieu Aikins. C’est un journaliste français qui est parti en Afghanistan pour faire des reportages terrains et il y a rencontré un Afghan qui veut demander l'asile en Europe ou aux Etats-Unis.

Afin de comprendre son périple jusqu'en Occident, le journaliste a fait le chemin avec lui. Il n’y a aucune romance, c’est un récit journalistique. Ce livre est bouleversant, il offre la vision d’un Occidental sur cette traversée. Tout le monde devrait lire ce livre, il fait réaliser à quel point les gens ont vécu des situations catastrophiques dans leur pays.

Un grand merci Pauline, d’avoir pris le temps de nous partager ton expérience et ta réflexion sur le monde associatif, le partage et le don de soi.

Si vous souhaitez continuer à être inspiré.e par d’autres personnes engagées et passer le pas à votre tour, suivez-nous sur El Sofa.

Crédit photo :  Nathalie Bardou

Retranscription : Apolline Faber

ton avis compte pour nous !
Cet article t’as plu ?
N’hésite pas à le partager sur le Linkedin !

en découvrir plus par ici :

v
v